A l'automne 1843, Pauline Viardot, mezzo-soprano de 22 ans, triomphe a Saint-Pétersbourg dans Le barbier de Séville, de Rossini. Poussée loin de Paris par la jalousie de deux rivales, cette jeune musicienne d'origine espagnole, petite seur de la défunte Malibran, qui fut avant elle une diva célébrée sur toutes les scenes d'Europe, voyage avec son époux, Louis, traducteur, critique et collectionneur d'art. Dans la capitale ardemment tournée vers l'Europe de cette Russie ou le servage est toujours en vigueur, elle bouleverse un jeune poete idéaliste épris de littérature allemande, Ivan Tourgueniev. Sillonnant l'Europe au gré des rencontres, des engagements de Pauline Viardot et des événements de cette seconde moitié du XIXe siecle (Révolution de 1848 et coup d'État de Napoléon III, guerre franco-allemande de 1870, écrasement de la Commune...), ce triangle amoureux ne sera séparé que par la mort. Les deux hommes s'éteignent en 1883, Pauline, pres de trente ans plus tard, en 1910. Porté par des idéaux tant esthétiques que démocratiques, leur destin romanesque a croisé ceux des artistes de leur temps, comme George Sand - grande amie de la cantatrice et compositrice - et Wagner, mais aussi Liszt, Chopin, Delacroix, Berlioz, les Schumann, Flaubert, Zola, ou encore Georges Bizet, leur jeune voisin a Bougival, qui y mourra a 36 ans d'un infarctus précipité par la désastreuse premiere de son chef-d'euvre, Carmen. En héritage Avec l'historien britannique Orlando Figes, auteur du livre The Europeans - Three Lives and the Making of a European Culture (Penguin 2020, non traduit), le documentaire évoque avec force la culture et les valeurs européennes communes que cet extraordinaire trio a contribué a faire émerger. Des idées favorisées par l'expansion des moyens de communication et le progres industriel, du chemin de fer aux nouvelles techniques d'imprimerie, qui constituent le socle de l'Europe politique, mais semblent oubliées depuis que celle-ci a commencé a se construire, déplore par exemple l'écrivain Olivier Guez. Avec aussi Jorge Chaminé, fondateur du Centre européen de musique, Polina de Mauny, historienne des lettres russes, et la mezzo-soprano Marina Viotti, cette évocation foisonnante invite a se réapproprier cet héritage délaissé, en guise d'antidote aux replis identitaires et nationalistes.